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Le possible et le réel : de Bergson à Heisenberg

Les paradoxes exposés dans Le possible et le réel de Henri Bergson m’ont tellement marqué l’esprit, que je voulais en articuler ici les idées essentielles. C’est en somme le travail de tout philosophe d’aller à l’encontre de la doxa, de l’opinion courante, pour mettre en lumière un paradoxe et chercher à le résoudre. C’est aussi souvent le travail des physiciens, de nous faire comprendre que le sens commun est rarement aussi proche de la réalité que nous aimerions le croire, tel un temps relatif ou un état quantique superposé. De là en découle des théories dites orthodoxes, c’est-à-dire des théories ajustées au mieux des savoirs ainsi accumulés.

Tel est le cheminement de la connaissance à travers les esprits : passer d’une doxa à une orthodoxie à travers un paradoxe. Le possible et le réel nous renvoie aux projections d’un miroir entre passé et présent, entre un objet et son image.

Contexte

Bergson publia Le possible et le réel dans une revue suédoise en 1930, alors qu’il n’avait pu se rendre en personne à la remise du prix Nobel de Littérature à Stockholm, reçu quelques années plus tôt.

C’est un texte assez court, de quelques dizaines de pages, dont je ne peux que recommander la lecture intégrale, disponible gratuitement sur wikisource.org. Il servira aussi de chapitre dans le dernier ouvrage de sa vie, La Pensée et le Mouvant. Cet ultime opus étant un recueil d’articles publié tout au long de sa vie.

Le réel ne cesse de nous surprendre alors que nous cherchons sans cesse à ne plus s’en étonner, à le confiner dans un cadre bien défini que nous pouvons contrôler. L’examen des possibles est une forme d’appropriation du réel pour s’en rassurer. Bergson débute ainsi son analyse :

J’ai beau me représenter le détail de ce qui va arriver : combien ma représentation est pauvre, abstraite, schématique, en comparaison de l’évènement qui se produit ! La réalisation apporte avec elle un imprévisible rien qui change tout.

Le Possible et le Réel, Henri Bergson

C’est par ce constat, presque banal car si familier, que Bergson cherche à expliciter notre rapport au temps, qui dans la durée est une création continue d’imprévisible nouveauté. Cette nouveauté imprévisible contribue à nos connaissances, en questionnant nos certitudes lorsqu’elles rentrent en contact avec le réel, à partir duquel tout devient possible. Sans nouveauté, nous saurions déjà tout ce qu’il y a à savoir et plus rien ne nous étonnerait. 

Les catégories de la modalité chez Kant

Avant d’aborder les paradoxes exposés par Bergson, il est utile de bien distinguer les modalités du réel et de l’irréel. Le lecteur distrait peut passer cette section qui utilise un vocabulaire assez éloigné du langage courant, mais que je trouve révélateur pour la suite. Cette catégorisation a été remarquablement analysée dans la Critique de la Raison pure de Kant au XVIIIe siècle. Le plus simple est de se le représenter sous forme de tableau :

ÊtreNe pas être
RéelNécessaire : ce qui est réel et ne pourrait pas ne pas être (e.g. la gravitation)Contingent : ce qui est réel et pourrait ne pas être
(e.g. la vie)
IrréelPossible Ce qui pourrait être, mais n’est pas (e.g. une civilisation humaine sur Mars)Impossible : Ce qui n’est pas et ne pourrait pas être (e.g. un fantôme)
Modalité du réel et de l’irréel

Nous voyons ainsi que le possible et le contingent n’appartiennent pas à la même catégorie, ni dans le réel, ni dans l’être. Le possible est ce qui pourrait être, mais n’est pas (donc irréel), tandis que le contingent, bien qu’il soit (donc réel) pourrait ne pas être. Nous pouvons être convaincus qu’il y aura bien un jour une civilisation humaine sur Mars, la réalité de cette civilisation n’existe pas et peut-être n’existera-t-elle jamais.

De même, nous pouvons trouver incroyable que la vie ait pu émerger suite à autant de phénomènes contingents hautement improbables et pourtant la vie existe bien. Évidemment nous pouvons répondre que ce n’est qu’une question de temps – comme s’il était impossible que la vie n’émerge pas en la rendant nécessaire – mais cette réponse ne fait que nous renvoyer à notre ignorance en projetant dans le passé une information que nous connaissons maintenant. Nous confondons nécessité et non-impossibilité pour transformer artificiellement quelque chose d’irréel (nos théories) en quelque chose de réel (la vie).

Malgré l’importance de la place que le possible prend dans notre esprit – sous formes d’hypothèses, de craintes, d’attentes – il n’a jamais rien de réel. Alors que malgré l’incroyable hasard que certains évènements arrivent, ils arrivent malgré tout ! C’est en effet le propre de la vie d’être contingente et nous pouvons pousser le raisonnement encore plus loin : le plus étonnant est que l’Univers existe ! Ce qui nous renvoie à la question métaphysique par excellence : pourquoi il y a quelques choses plutôt que rien ?

J’estime que les grands problèmes métaphysiques sont généralement mal posés, qu’ils se résolvent souvent d’eux-mêmes quand on en rectifie l’énoncé, ou bien alors que ce sont des problèmes énoncés sous formes d’illusions, et qui s’évanouissent dès qu’on regarde de près les termes de la formule.

Lignes 164-169

C’est à partir de la reformulation du paradoxe du rien, mais aussi de celui du désordre (pourquoi les choses sont ainsi et non autrement ?) que Bergson inverse notre représentation du possible et du réel. En effet, nous avons tendance à penser que ce qui est possible précède le réel : le réel n’étant que l’actualisation de différents possibles. C’est ce qui permet de nous rassurer en donnant une explication après coup. C’est en fait le contraire qui est vrai.

Le possible ne précède pas le réel, il en est la conséquence

Ce qui est devant nous, c’est le passé. L’avenir, nous n’en savons rien. Tout ce que nous voyons, entendons, ressentons est déjà advenu. Même ce verre d’eau devant moi est la conséquence d’un travail antérieur de fabrication, d’une eau évaporée des océans et transformée en gouttes filtrées à travers les montagnes. Lorsque je prends conscience de ce verre sur la table, c’est la conséquence de la lumière qui parvient à ma rétine émise quelques nanosecondes plus tôt d’une ampoule et réfléchie sur cette surface translucide. En cosmologie, regarder l’univers, c’est observer son passé, celui d’un âge vieux non plus de quelques nanosecondes, mais de plusieurs milliards d’années.

Si maintenant ce verre glisse de mes mains et se renverse, je pourrais me dire que c’était prévisible : j’aurais pu le savoir. Cependant, ce n’est que rétrospectivement que je le sais, sinon je ne l’aurais pas renversé ! Cette analyse rétrospective est une construction de l’esprit, qui me fait émettre des hypothèses, des possibles contenus dans le passé d’informations présentes, alors qu’en vérité, ils sont la conséquence de ce qui est déjà arrivé et que nous cherchons alors à reproduire ou éviter.

Au fur et à mesure que la réalité se crée, imprévisible et neuve, son image se réfléchit derrière elle dans le passé indéfini ; elle se trouve ainsi avoir été, de tout temps, possible.

Nous émettons par exemple des normes de sécurité routière après avoir constaté la réalité d’un carambolage automobile. Pour un homme de l’antiquité, ce concept est impossible, non parce qu’il est inconcevable – il avait vraisemblablement les mêmes facultés cognitives que nous – mais parce qu’il n’en connaissait pas la réalité. De même, les physiciens émettent l’hypothèse d’une origine de l’Univers sous forme d’un Big Bang, non parce qu’ils en voient la nécessité de toute éternité, mais suite à l’observation d’un Univers en expansion. C’est une hypothèse que le réel à rendu possible. Archimède aurait pu en faire autant, mais compte tenu des informations réellement disponibles à son époque, c’était impossible.

Nous avons tendance à penser que ce qui est possible fini par arriver, et nous nous en convainquons une fois advenu. Ne prenons pas ces désirs pour la réalité. Étonnement, un grand nombre de spécialistes financiers avait prédit la crise financière de 2008, cependant personne n’aurait su en donner la date : c’est un savoir conjugué au futur antérieur ! Nous observons des cycles et projetons vers l’avenir un cycle passé, mais l’anticipation reste toujours hasardeuse.

Le temps pour un esprit mathématique n’est qu’une variable, dont on peut inverser le signe et remonter ici ou là à différents états dans l’équation de la trajectoire. C’est la représentation continue d’une variable discrète. Le propre des théories physiques et de trouver des invariants, des symétries qui ne changent pas lorsque l’on change la charge, la parité ou le temps. Pour de tels systèmes clos, le temps n’a que peu de valeur et toutes prédictions sont symétriques entre passé et futur. Ce sont des systèmes possibles, mais ce n’est qu’une vision dégradée et limitée de la réalité, comme nous allons y revenir.

Le rien n’est qu’une substitution de quelque chose

Cette extrapolation par anticipation de nos connaissances change notre rapport au néant. Un néant qui serait antérieur à ce quelque chose qui fait que nous ne sommes pas rien. Ce n’est cependant qu’un abus de langage.

La définition de ’rien’ est une absence de quelque chose, tel le chiffre zéro en mathématique. Cependant, zéro n’existerait pas si aucun chiffre n’existait. Historiquement, nous n’avons pas inventé le chiffre zéro en premier, puis tous les autres. L’idée de rien est postérieure à l’idée de quelque chose. L’humanité a commencé par compter avec des objets bien concrets, c’est plus tard que le concept de zéro est apparu. Même si zéro ne représente rien, il n’a pas été pensé à partir de rien. Ce rien est l’absence de chiffres dont la manipulation était déjà bien connue. Même pour le représenter nous avons besoin de quelque chose, de quatre lettres ou une forme ovale ressemblant à un œuf : ‘0’. Cette absence ne signifie pas un anéantissement ou un non-être. C’est une suppression mentale qui n’est en fait qu’une substitution. Nous avons remplacé quelque chose par quelque chose d’autre. Nous en faisons la retenue dans notre esprit, ce n’est pas pour autant qu’il a disparu réellement.

’Rien’ désigne l’absence de ce que nous cherchons, de ce que nous désirons, de ce que nous attendons.

Nous pouvons penser que les Mathématiques sont abstraites, qu’en est-il du vide en Physique ? C’est en fait un vieux problème qui continue de tracasser les physiciens. Je peux prendre une boite et en retirer toutes les molécules, les atomes et jusqu’au dernier électron, mais il restera toujours la température de la boite, c’est-à-dire la radiation du corps noir. Cette température est mesurable à partir d’ondes électromagnétiques émises par la boite elle-même, en l’absence de toute matière à l’intérieur. Si maintenant, nous refroidissons cette boite proche du zéro absolu (0 Kelvin ou -273° Celsius) il restera encore quelque chose, ce que les physiciens appellent les fluctuations du vide. Ces fluctuations quantiques nous ne pouvons pas nous en affranchir. Il est impossible de créer un vide absolu en laboratoire, de même qu’il est impossible d’avoir une particule parfaitement immobile. Il y aura toujours quelque chose qui viendra se substituer au vide que nous venons de créer. Le rien n’est jamais complètement vide !

L’espace concret a été extrait des choses. Elles ne sont pas en lui, c’est lui qui est en elles. Seulement, dès que notre pensée raisonne sur la réalité, elle fait de l’espace un réceptacle.

Nous ne pouvons identifier le vide au néant. Le néant est un concept philosophique sans réalité physique alors que nous supposons le néant antérieur à l’Univers ou extérieur à lui : nous substituons le possible au réel. Penser le néant, c’est déjà créer quelque chose.

Nous pouvons en fait exprimer beaucoup plus de choses qu’il en existe réellement tel un cercle carré, une hydre à trois cornes ou un être cher qui revient à la vie. Cependant, nous n’aurions aucune de ces idées si nous n’en avions eu une certaine expérience. Nous étions déjà familiers du concept de cercle, du monde animal et avons toujours en mémoire la présence de personnes disparues. Même notre imagination ne vagabonde pas à partir de rien.

Le désordre est l’ordre que nous ne cherchons pas

Le raisonnement est similaire pour le désordre comme pour le rien. L’ordre est ce qui me permet de déduire de l’information contenu dans l’agencement de la matière ou de son état à un instant t. Ce que je définis comme désordre est une configuration de la matière à partir de laquelle je n’en retire plus aucune information. J’utilise cette information pour en retirer quelque chose. Sans informations, je ne sais plus rien. Cette absence est à nouveau une angoisse à laquelle nous voulons palier en lui donnant du sens. Ce sens nous le nommons ordre et le désordre est son absence. Le néant est relatif à l’être, de même que le désordre est relatif à l’ordre.

Le désordre est ce que nous déclarons être aléatoire, inutile, absurde : il n’y a plus rien à en tirer, telle la mort thermodynamique de l’Univers. En thermodynamique, la chaleur est considérée comme une énergie inutile à partir de laquelle plus aucun travail ne peut être produit, c’est un phénomène purement dissipatif. Ce désordre, cette énergie inutile, ce manque d’information, nous empêche de donner du sens à un ordre désormais disparu, qui n’est pas rien, juste l’absence de ce que nous recherchions.

Il n’y a en réalité pas plus d’ordre que de désordre à attendre de la matière. Le chaos n’émerge pas de rien, mais d’une matière informe à partir de laquelle nous cherchons à retirer de l’information. Cependant, le chaos n’est pas désordonné, juste imprévisible, et nous sommes perdus lorsque nous n’y trouvons aucun sens, aucun motif, aucune relation à laquelle s’attacher. Le chaos est cette réalité à laquelle nous ne voulons pas croire, car nous n’y trouvons plus les traces du possible. En vérité, ces traces sont contenues nulle part dans le passé, uniquement dans notre interprétation présente de celui-ci.

Heisenberg dans tout ça

Le 6 avril 1922, Bergson rencontra Einstein à Paris pour discuter de la relativité du temps et du concept de durée. Ils ne purent conclure qu’à leurs divergences d’opinions par manque de compréhension mutuelle. Le jeune Heisenberg n’avait pas encore obtenu son doctorat à cette époque, bientôt en quête d’une théorie pour expliquer les transitions énergétiques dans les atomes. Le formalisme matriciel de la Mécanique Quantique prendra son essor avec lui quelques années plus tard. Bergson était en fait plus proche, sans le savoir, des idées révolutionnaires de ce jeune chercheur.

Même révolutionnaire, la théorie de la Relativité ne change pas le paradigme matérialiste et déterministe de la Physique de cette époque : le possible précède toujours le réel, telle la trajectoire d’une particule de l’avenir vers le passé, ou inversement. Passé et futur sont interchangeables par une simple inversion de la variable temps, que ce temps soit relatif ou pas. Le temps n’est qu’une simple dimension de l’espace. En Relativité, le présent n’existe pas (et donc le temps non plus), car aucune mesure ne peut être simultanée dans tous les référentiels. Il n’y a qu’un seul Univers-bloc immuable. Cet Univers-bloc est en fait la continuité de la thèse de Laplace du début du XIXe siècle poussé à l’extrême, où chaque ligne de vie est déterminée de tout temps pour peu que nous en connaissions toutes les conditions à un seul instant. Cette conception est à l’antithèse de toute idée de temporalité chez Bergson.

La révolution Quantique perturbe ce schéma de pensé de manière beaucoup plus fondamentale : il est impossible de connaitre le réel sans le mesurer, sans interagir avec lui : le possible découle du réel, entièrement nouveau, il ne le précède pas. Qu’importe la mesure microscopique que je viens de faire, si je la fais à nouveau, elle sera différente ! Une seule mesure ne sert à rien : il faut en faire une analyse statistique. Le possible est en mécanique quantique une probabilité. Ce n’est qu’à travers cette statistique de mesure – c’est-à-dire un grand nombre de mesures réelles – que l’on peut remonter aux probabilités déduites de la fonction d’onde du système. Cette probabilité ne concerne que les phénomènes dont on peut observer les résultats à répétition, car il n’y a aucun autre moyen de la mesurer. C’est ce qu’Heisenberg nomma observable.

Expérimentalement, tant que je ne prépare pas l’état d’un système quantique (et théoriquement tant que je ne définis pas l’Hamiltonien du système) rien n’est possible, aucune probabilité ne peut être calculée, aucune information ne peut être mesurée. Et même une fois connu, je ne peux remonter à tous ces états antérieurs, tel le passage de la particule à travers l’une ou l’autre fente responsable de la figure d’interférence selon l’expérience de Young.

Cette bizarrerie quantique porte même un nom : effondrement de la fonction d’onde. Cet effondrement signifie que je ne peux plus remonter aux états antérieurs une fois la mesure effectuée, car cette information s’est dissipée à travers un phénomène appelé décohérence. Cette décohérence est le résultat d’interactions entre états quantiques intriqués (c’est-à-dire cohérents en phase par rapport au système initialement préparé) et l’environnement (qui peut être d’autres particules non cohérentes ou un instrument de mesure).

Si le terme de cohérence est recevable, je pense que le terme d’effondrement est mal choisi, car il maintient nos vieux schémas déterministes à partir desquels nous continuons de projeter dans le passé nos connaissances présentes. En réalité, cette information n’est pas perdue, elle n’a jamais existé : le possible n’est pas antérieur au réel. Nous ne pouvons pas savoir ce que nous n’avions jamais connu. Toute information est forcément passée : une donnée est ce que j’obtiens après la mesure, pas avant. Cette donnée brute, je ne peux pas la connaitre d’avance.  

Par ailleurs, le principe d’indétermination d’Heisenberg est aussi la base théorique à la fluctuation du vide. Cette inégalité confine l’incertitude de la mesure à un espace paramétrable, tel que la position et la vitesse d’une particule ou bien son énergie sur un intervalle de temps Δt. À l’intérieur de cette inégalité, le vide fluctue et n’est jamais nul. Cette fluctuation peut sembler anodine à de si petites échelles, mais c’est un phénomène omniprésent jusqu’à l’émission spontanée de presque toute la lumière de l’Univers !

À ces dimensions, de l’ordre de l’échelle de Planck, le terme de particule n’a plus de sens et nous la considérons comme une onde étendue spatialement et temporellement. Une onde dont la position n’est parfaitement déterminée qu’au moment de l’impact, lorsque sa vitesse est nulle, et qu’un point apparait sur l’écran de mesure. Il est cependant impossible de remonter à la trajectoire qu’avait suivi cette particule avant son impact suivant nos schémas de pensée habituel, en remontant les possibles, car en réalité ces possibles ne lui sont pas antérieurs. À nouveau, ce ne sont que l’image présente de ce que je projette dans le passé.

Cette incertitude n’est pas liée à la mesure elle-même. Nous pourrions croire que si je ne mesure rien, la position de la particule est parfaitement déterminée tout comme sa trajectoire, juste inconnue. Nous pourrions croire que le vide disparait juste au moment où nous cherchons à le confiner. Ces problèmes persistent, qu’il y ait mesures ou pas, qu’il y ait un observateur ou pas. C’est un problème intrinsèque, non pas à la mesure, mais à l’interaction. Cette interaction intervient au moment de la mesure, mais aussi entre n’importe quelles particules qui échangent de l’énergie et qui est responsable du phénomène de décohérence introduit plus tôt. La mesure est l’information que nous retourne le réel, une donnée qui appartient alors au passé et à laquelle je cherche à donner du sens. De ce sens découle l’ordre et de là toutes connaissances.

Conclusion : la liberté ne réside pas dans les choix mais dans la décision

Remettons le possible à sa place : c’est le réel qui se fait possible, et non le possible qui devient réel. A minima, le possible est une absence d’empêchement et le réel ne fait qu’invalider ce qui est impossible. Le réel ne nous apprend rien sur ce qui est possible, c’est une construction de l’esprit qui pourrait même nous faire croire que ces possibles sont inéluctables.

L’une de ces conceptions amène à un déterminisme radical où le présent n’existe pas et le passé et le futur sont interchangeables. L’avenir est tout aussi connu que le passé et le temps, un simple paramètre permettant de naviguer cet espace.

L’autre conception amène à un indéterminisme fondamental qui part du réel pour créer un monde toujours nouveau. Ce possible-là n’est que la conséquence du réel, l’avenir est toujours plus riche et inattendu que l’idée que nous nous en faisons. Le possible est une abstraction du réel projeté vers le passé et à laquelle nous croyons répondre : il aurait pu en être autrement. En réalité, il n’aurait pas pu en être autrement, et c’est précisément ceci qui nous rend libre ! Il est impossible de changer le passé, en revanche, il est parfaitement possible de changer ce qui nous advient. Être libre ne consiste pas à avoir de nombreux choix possibles, mais à prendre une décision qui se transforme alors en action.

Nous continuons de maintenir l’idée d’un possible précédant le réel dans une expérience de physique classique où tout est reproduisible, car parfaitement contrôlée, de sorte que passé et avenir sont équivalents, mais ce n’est pas le cas du Vivant, contingent bien que réel, chaotique bien qu’ordonné, imprévisible bien que familier.

La conclusion de Bergson est que cet indéterminisme nous rend plus joyeux et plus fort. Plus joyeux, car nous pouvons nous émerveiller d’un monde qui n’est plus absurde, mais sans cesse renouvelé. C’est ce que nous expérimentons dans la durée, création continue d’imprévisible nouveauté. Plus forts, parce qu’une fois la pensée libérée de ses déterminismes, nous pouvons agir et construire une réalité que nous aurons façonnée, telle la main d’un artiste dont nul ne pouvait prédire l’œuvre.

Telles étaient les intuitions de Bergson que je voulais revisiter dans cet article. Nous pouvons y adhérer ou les défier. Mais cette adhésion ou ce défi ne fera que contribuer à un avenir que personnes n’avait prévu et qui ne cessera de nous surprendre à nouveau.

Sources d’inspirations :
  • Le possible et le réel, Henri Bergson. GF Philo’ avec l’appareil pédagogique d’Arnaud Sorosina
  • Helgoland, Carlo Rovelli

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Féconde – la lettre qui fait germer les idées

source wikipedia: biographie de Bergson et Heisenberg

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