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Qu’est-ce que la connaissance ?

Nous avons tous une certaine idée de la connaissance, et c’est bien normal, car la connaissance est avant tout personnelle.

La connaissance n’est pas un simple savoir, elle n’est pas un avoir, mais trouve sa source dans l’être. Il faut le faire sien pour qu’un savoir devienne connaissance. Au début, nous n’en savons rien et c’est toute la mesure de notre ignorance. Il faut cependant bien commencer par quelque chose et nous reposons donc sur le savoir des autres. À tel point que nous finissons par y croire.

Mais tout ceci n’est pas connaissances. Alors qu’est-ce que c’est ?

La connaissance est une expérience, c’est l’actualisation des possibles. Toute connaissance est particulière. On ne dit pas « je sais cette personne », on dit « je connais cette personne ». En fait, je la reconnais chaque fois que je la rencontre, alors qu’un inconnu, je ne sais rien de lui. Je reconnais aussi le chemin que j’emprunte pour aller à ma boulangerie préférée. Si quelque chose change, je m’adapterai.

Le savoir en revanche est ce que je retiens après l’avoir appris, c’est une mémoire qui n’est pas toujours présente à mon attention. Ce sont des règles, des schémas ou des formules qui fonctionnent la plupart du temps. Advient-il un changement à ce que je m’attendais ? Je ne sais plus !  Tout enseignant en a conscience : apprendre à un élève à résoudre un problème inconnu par lui-même est plus difficile que lui enseigner un cours qu’il retiendra par cœur. Il se souviendra de la bonne réponse, car il la sait, mais il ne la connait pas vraiment. Il pourrait l’oublier et serait incapable de la dériver à nouveau. 

La connaissance nait de la réponse face à l’inconnu, de l’expérience que j’en dérive, de l’intelligence dont je fais preuve. Voici un premier rapport que nous pouvons déduire : le savoir est à la connaissance, ce que la mémoire est à l’intelligence.  Le savoir appartient au passé, à travers la mémoire, c’est un avoir. La connaissance appartient à l’être, à travers l’intelligence, c’est un devenir.

Évidemment, nous avons besoin des deux pour résoudre un problème : de savoirs et de connaissances, car nous devons sans cesse faire appel à des concepts antérieurs pour mieux les actualiser, les contextualiser. Un bon raisonnement fait appel à la mémoire autant qu’à l’intelligence. C’est pourquoi nous prenons si facilement le savoir pour de la connaissance. 

En fait, il y a de nombreuses formes d’intelligences, qui donnent lieu à de nombreuses formes de connaissances, alors que la mémoire, il n’y en a qu’une : ce dont je me souviens, que j’ai conscience et que je peux oublier. En revanche, nous ne sommes pas toujours conscients de nos connaissances, elles sont même rarement bien articulées ou clairement communicables. C’est ce qui m’apparait lors d’une intuition, telle une fulgurance ou un moment d’Eurêka et qui me prendra du temps à bien expliquer. Soudainement, je comprends quelque chose qui était pourtant latent en moi.

Nous commençons à comprendre le caractère ambigu de la connaissance. D’autant plus que si la connaissance fait partie de qui je suis, telles sont aussi mes émotions et toutes ces expériences qui m’arrivent, que je déciderai de suivre ou de produire. En fait, c’est grâce à ces expériences et confrontation au réel que je construis mes connaissances. Quel est donc le rôle de l’émotion dans ces raisonnements ?

Nous ne pouvons jamais atteindre une certitude absolue dans notre connaissance du monde et les vérités les plus sûres sont les moins utiles. Il faut ainsi se résoudre à y croire, à s’en persuader. Ceci amène parfois à des dérives – surtout si l’on manque d’humilité ou de probité intellectuelle – mais demeure nécessaire pour avancer. C’est une conviction qui ne doit pas être prise à la légère, mais fait suite à une intuition, à de nombreuses déductions et recoupements cohérents, pour donner confiance en la validité d’un raisonnement.

La connaissance nous apporte la compréhension de nos croyances, là où l’ignorance nous l’occulte. Pour les philosophes, la connaissance est une croyance vraie. C’est une croyance justifiée, recevable par la raison. 

Qu’est-ce alors que la vérité ?  

La vérité est ce que la connaissance prend pour objet, c’est une objectivisation de ses connaissances. La vérité, tout comme la connaissance dont elle découle, est une expérience, mais une expérience qui peut être partagée avec tous. La vérité est universelle là où la connaissance est personnelle. L’universel inclus dans le particulier, telle une fractale dont le motif se retrouve à toutes les échelles.

Sans connaissances, la vérité reste incompréhensible, mais n’en reste pas moins transmissible. Nous pourrions l’assimiler à un savoir, mais un savoir universellement reconnaissable. La vérité est comme la mémoire de l’humanité, une réalité à laquelle l’humanité a pris conscience.

Sans vérités, nous ne saurions rien ou si peu, car la connaissance de chacun resterait personnelle, incommunicable, sans intérêt pour les autres, si ce n’est par l’exemple et l’imitation ; un simple comportement grégaire. Nous serions réduits comme les animaux, à ne transmettre que nos gènes et à reproduire les vieux schémas de nos ancêtres primitifs. Nos gènes nous poussent à se reproduire, la connaissance nous pousse à se transmettre. Dans les deux cas, l’objectif est de mieux s’adapter au réel, ou à son environnement si l’on préfère.

Affirmer que la vérité est relative à chacun, c’est confondre vérité et connaissances. L’une découle de l’autre, non pas lié par une relation d’isomorphisme, mais comme un fleuve nourrit de nombreux ruisseaux. L’abolition de la vérité à travers un certain relativisme culturel est le chemin le plus sûr vers l’institution de clivages idéologiques et le tarissement progressif de nos connaissances. C’est un retour à l’instinct grégaire d’un clan contre un autre, d’une idéologie contre une autre.  La connaissance en revanche est source de dialogues, c’est là toute la méthode socratique.

Nous pouvons voir la vérité comme une correspondance au réel. Nous pouvons la voir aussi comme un système cohérent, non contradictoire, où chaque connaissance vient abonder le savoir de tous. C’est une forme de correspondance à la réalité, celle que nous avons construite, à travers notre connaissance virtuelle et même personnelle de celle-ci. Ce qui existe sous forme d’idée et qui est pourtant vrai.

Nous pouvons ainsi risquer un second rapport :  le virtuel est à la réalité, ce que la vérité est au réel. La vérité reste virtuelle tant que notre compréhension de la réalité n’est pas réelle, ce à quoi nos connaissances s’emploient sans cesse.

Le réel est toujours interprété, mélange de données et d’analyses. La réalité est le résultat de notre interprétation du réel, à travers nos connaissances. Le virtuel est un monde de possibles que je cherche à valider en y cherchant des idées vraies, celles que je pourrais alors communiquer à quelqu’un d’autre.

Même si notre compréhension du monde est presque toujours virtuelle, tel un devenir, nous pouvons trouver de nombreuses joies à la découverte d’imprévisibles nouveautés qui accroissent alors nos champs des connaissances. Des connaissances qui dépassent tous les savoirs.

Ce devenir n’est pas écrit d’avance, nous pouvons le sonder, puis le partager et le rendre meilleur à mesure que nos connaissances grandissent.

Crédit: Barabeke, fractals : eye of the storm on flickr

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