Qu’est-ce que l’intuition ?

L’intuition est une forme de connaissance immédiate, c’est-à-dire sans médiation. C’est ce qui rend cette occurrence si énigmatique, car j’en ignore la cause. Toute action est en effet médiation d’une cause, mais l’intuition, qu’est-ce qui la provoque ? Nos raisonnements se développent par étapes, lentes et laborieuses, alors que parfois la solution se manifeste comme une évidence.

À la question qu’est-ce que l’intuition ? nous pouvons reprendre la phrase de Saint-Augustin sur le temps : si personne ne m’interroge, je le sais ; si je veux répondre à cette question, je l’ignore. Je le comprends sans pouvoir l’expliquer. L’intuition est bien une forme de connaissance, mais dont j’ignore la cause, de même que j’ignore l’origine du temps. Et pourtant, je n’ai aucun doute que le temps passe ou que mon intuition est vraie : c’est une expérience personnelle, concrète, unique. On peut communiquer un savoir, mais une intuition demeure indicible jusqu’à ce que j’en forme une connaissance , lorsque je sors de cette immédiateté pour revenir à mes modes d’inférences familiers.

L’intuition serait une forme de suggestion dont j’ai oublié l’origine. Cet oubli la rend inconsciente, presque imperceptible, jusqu’au moment où l’idée devient prégnante, comme si la mémoire soudainement me revenait. Socrate serait en fait le philosophe de l’intuition : il montre ce qui est évident, mais que j’avais oublié. Cette intuition est la réminiscence d’un savoir perdu que je nomme connaissance dès lors que j’en prends conscience. Socrate ne faisait en effet qu’accoucher les esprits. Cette suggestion, qui serait presque étrangère à soi-même – mais pas totalement – est le passage de l’inconscient vers le conscient, de la mémoire à l’intelligence, du ressenti à l’idée claire et évidente.

Non seulement nous n’en comprenons pas l’origine, mais nous ne choisissons pas non plus le moment de son apparition. L’intuition est comme un lointain souvenir qui se manifesterait à l’improviste, lors du détour d’un chemin, devant une œuvre d’art ou après avoir reposé mon livre. L’intuition ne se commande pas, elle s’improvise ! La musique offre un remarquable exemple : une envolée lyrique est inaccessible à un débutant, c’est dans la perfection de cet art que l’improvisation se manifeste. Il faut une grande maitrise de son instrument et un répertoire fourni pour laisser place à l’improvisation, qui devient une forme de création artistique. Pour un musicien, c’est passer du rôle d’interprète à celui de compositeur. Cette envolée lyrique se déploie alors naturellement, note après note, avec la plus arrogante évidence.

Nul n’a de fulgurance devant un problème qu’il rencontre pour la première fois : il laisse perplexe. Je ferais sans doute quelques suggestions en rapport à des problèmes connexes, mais pour provoquer une intuition, il faut que ce problème m’habite depuis un certain temps. L’intuition est comme le premier battement d’aile d’un papillon alors que je n’avais en mémoire que ma vie de chenille. C’est une transformation. Il y a toujours un avant et un après suite à une intuition grandiose, telle la métamorphose d’une chrysalide en papillon.

Même en mathématique, l’intuition est utile, voire indispensable. Plus un problème est complexe, plus ses solutions sont difficiles à identifier. C’est ainsi que l’intuition permet de poser les bonnes questions, d’établir les hypothèses les plus solides ou d’entrevoir un chemin de traverse vers une démonstration rigoureuse. L’intuition est perçue comme une chance, un heureux hasard, la découverte d’un monde insoupçonné. La différence entre une intuition mathématique et celle que l’on peut expérimenter dans la vie de tous les jours est que je peux éprouver sa valeur par liens de déduction. En mathématique, l’intuition est comme une clé qui permettrait de déchiffrer un message crypté, non plus en un instant, mais au fil de mes déductions, au moment où je tourne le mécanisme de l’engrenage : le verrou s’ouvre.

L’intuition est l’expérience singulière d’un principe universel dont je déroulerais ensuite le fil logique pour mieux le comprendre. Cette clé de l’universel au singulier, nous avons tendance à l’utiliser à rebours, c’est-à-dire à généraliser ce qui n’est en fait que particulier. C’est là où nos intuitions peuvent nous induire en erreur. L’intuition n’est pas une induction, l’universel n’est pas une répétition. C’est ainsi que je peux me tromper malgré ma sincérité. Confondre l’universel et le général, c’est prendre ses désirs pour de la connaissance. C’est projeter ses aspirations sur une solution que je veux voir réaliser, mais que je ne voie pas vraiment. C’est un vœu pieux de réussite qui n’a plus comme attributs qu’un désir inassouvi.

Ceci dit, l’intuition reste comme toute forme de connaissance basée sur une croyance et dépend du milieu qui l’a vu naitre. Dans le cas de l’intuition, cette croyance est même une conviction. Ce n’est pas une simple hypothèse, c’est une certitude. Elle engage toute la personne et pas juste sa pensée. Une intuition n’est pas une vague idée jetée nonchalamment envers un public distrait. C’est une intégration de la mémoire et de l’intelligence, du passé et de l’avenir, qui permet en un éclair de voir la solution à un problème qui m’habitait depuis fort longtemps. Parmi nos cinq sens, la vision est le sens qui se rapporte le mieux à l’entendement : l’intuition s’affranchi, l’espace d’un instant, de toutes les contraintes du raisonnement pour voir la solution dans sa globalité, telle une illumination, un éclair de génie. C’est une lumière qui m’indique la direction sans être pour autant le chemin.

L’intuition est à la connaissance ce que les mutations sont à l’évolution : contingente et imprévisible, spontanée et incontrôlable, dont certaines entraînent des conséquences incroyables. C’est une idée improbable, un point de nucléation inattendu, une fulgurance à un moment inopportun qui peut changer le cours d’une vie.

Pour résumer, l’intuition demeure avant tout une suggestion dont nul ne connait précisément l’origine. C’est une invitation à la découverte, à sortir de soi pour comprendre le monde. Cette impression aussi profonde qu’éphémère laisse une trace indélébile : c’est l’impression de l’universel sur le personnel, de la culture à l’œuvre d’art unique, du pluriel au singulier. C’est ce dont nous prenons conscience à travers l’esprit du temps, à travers un environnement mouvant bien qu’identique, un précipité de signaux faibles, mais insistants qui se transforment en une solution claire et évidente. C’est un condensat de savoir en connaissance. Cette connaissance-là résout mes soucis en un instant et me fait pousser un long soupir de soulagement : j’ai trouvé ! 

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2 commentaires

  1. Intéressant, tout ce qui est dit me semble juste, bravo.
    Aurais-tu quelques exemples que tu as rencontrés au cours de ta carrière, où l’intuition a fait avancer la recherche ?

    1. Merci ! C’est vrai que cet article manque d’exemples, mais je pense que la plupart des grandes découvertes ont été précédés par de telles intuitions. À commencer par Archimède sortant de son bain mais aussi Poincaré dont il écrit avoir trouvé la solution à son problème sur la première marche de son bus qui l’amenait en vacances.
      Sinon je pense évidemment à Einstein et  »la plus belle idée de sa vie » selon ses mots en 1907 pour établir le principe d’équivalence entre un mouvement accéléré et un champ de gravitation (équivalent à celui de Galilée mais pour un mouvement accéléré et non uniforme) qui l’amènera en 1915 à la théorie de la Relativité Générale (8 ans après son intuition!)

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