De l’écriture

Derrière l’art d’écrire, se cache non un simple artifice, mais la capacité d’exprimer clairement ses idées. Penser seul dans sa tête amène facilement à croire que ce que je pense est juste, alors qu’un bref examen devant un auditoire averti, révèle d’énormes lacunes. L’écriture a le même effet à partir de la simple objectivation de ses pensées, une fois couchées sur le papier. L’écriture me place devant un jury où je dois plaider ma cause. Je dois plaider non-coupable de redondances, d’idées empruntées, d’erreurs sans nombres, mais surtout et avant tout : non-coupable d’incohérence.

De l’écriture comme quête de vraisemblance

Plus le fil de mes pensées s’allonge, plus la menace d’incohérence guette. Tout à coup, je comprends que ce que j’avais pris pour acquis n’est pas si évident. Que ce sentiment insubmersible, s’évanoui à la relecture. Que cette idée géniale, n’est pas si révolutionnaire. C’est bien souvent un moment d’Eurêka à l’envers. Cette expérience est douloureuse, car elle me fait réaliser que beaucoup d’opinions et de croyances que je tenais pour vraies sont en réalités fausses ou que je n’en comprenais ni le sens, ni les implications.

Pire encore, je finis par réaliser que je ne sais pas vraiment ce que je pense. A bien y réfléchir, la plupart des idées auxquelles je suis fermement attachée, ne reflète que l’opinion courante de millions de personnes qui pensent exactement la même chose. C’est à la fois réconfortant et déconcertant. Je ne fais que suivre la pensée dominante d’une époque, d’un milieu, d’une bulle cognitive attachée à mon flux informationnel. Tel un papillon virevoltant d’une pensée à une autre, d’une opinion à une autre, je m’illusionne de savoir toutes ses choses, alors qu’en réalité je connais si peu, sur moi-même, sur les autres, sur mes propres pensées.

Ce que je cherche avant tout c’est donner du sens, et sans vraisemblance, cette quête s’évanouie.

De l’écriture comme quête d’authenticité

L’écriture oblige à être honnête avec soi-même. Il n’y a pas de raccourcis intellectuels, pas d’échappatoires, pas de solutions faciles. Car tôt ou tard, l’absurde, le contradictoire, la vanité finie par resurgir. L’écriture est le miroir de ses pensées. J’aimerais que ce reflet soit limpide, comme le torrent d’une eau claire, où tout coule de source. Cependant, seul devant mon brouillon, les idées se mélangent, la narration est confuse et les conclusions ne mènent à rien.

L’écriture est une épée à double tranchant : elle scinde le sensé de l’absurde, mais transperce aussi les pensées les plus intimes de son auteur en y révélant la confusion dont il s’efforce sans cesse de cacher. Écrire est un combat contre soi-même, c’est une gymnastique de l’esprit et une ascèse du corps. Nul ne peut envier la vie d’un écrivain. En dehors, rien ne parait. Tout se joue en dedans. C’est pourquoi si peu d’auteurs publient et jamais plus qu’une fraction de leurs textes, tellement travaillé qu’il n’en voit plus la fin. Pour que ce travail ait une fin, il faut le publier. La valeur d’un texte ne se révèle qu’en étant partagé, mais aussi critiqué.

Pourquoi fournir tant d’effort ? Ne pourrions-nous pas se contenter d’un débat entre amis ? Le consensus est un bouclier pour les faibles qui réduit le débat au plus petit dénominateur commun. Un débat insipide, stérile, politiquement correcte. Un bon auteur ne fuit pas la critique, il la recherche : où me suis-je trompé ? Dites-le-moi car je suis borgne au milieu de tous ces aveugles ! Il cherche la querelle non comme un gamin à l’affut d’une nouvelle bêtise, mais comme un ferronnier à la recherche d’une pierre à aiguiser. Car son œuvre doit être aussi tranchante pour lui que pour les autres. Telle est sa quête d’authenticité.

Un texte consensuel n’apporte rien et c’est malheureusement une maladie rampante dans nombre publications qui pourraient tout aussi bien être générées par une intelligence artificielle ou un pigiste distrait. La reproduction ad nauseam d’idées banales et d’informations aguichantes, mais stériles est devenu malheureusement le lieu commun de l’internet. Le lecteur en ressort passablement diverti mais hébété, comme au sortir d’un rêve, qu’il aura vite oublié.

De l’écriture comme quête de vérité

Tant qu’une idée n’est pas poussée à l’extrême, testée jusque dans ses derniers retranchements, nous n’en connaissons pas la valeur. Le consensus n’apporte aucune découverte, seulement la satisfaction de partager un savoir communément admis. La découverte ne se nourrit pas de savoir, mais de connaissance. Un savoir, tout le monde peut l’acquérir : il suffit de le lire, de l’apprendre, de le retenir. Une connaissance passe par un travail cognitif, un moment d’Eurêka qui nous fait comprendre ce que beaucoup ignorent et que nous pouvons alors formuler avec des mots ou des équations. Sans intelligences, sans explorations, sans essais et erreurs, nos savoirs demeurent stériles : la simple mémoire de connaissances passées. Aucune connaissance n’émerge sans aller jusqu’au bout de ses raisonnements, quitte à être clivant ou excentrique.

Après avoir cherché l’authenticité et défendu la vraisemblance, écrire est une quête de vérité à partir d’expériences personnelles et de connaissances intimes. Ce travail cherche alors la reconnaissance, c’est-à-dire à faire renaitre cette expérience ou susciter ces découvertes dans l’esprit du lecteur. C’est tout le génie d’un auteur de dévoiler pour son lecteur, pages après pages, un monde inattendu d’émotions, d’idées et d’émerveillements qui l’ont lui-même animé.

Certes, l’écriture n’est pas qu’au service de la vérité et même, peut-on objecter, c’est rarement le cas. L’écriture est aussi propagande, militantisme, sophismes ; je ne le nie pas, mais tous ces subterfuges sont à l’encontre du lecteur, pas de l’auteur. L’auteur n’en connait pas moins les rouages et les utilise à ses propres fins, car il a une histoire à achever, une quête à accomplir, un message à transmettre. Nombres vérités ont été contées à travers des fables. Nombres aberrations ont été transmises à travers un discours rigoriste. En réalité, le lecteur cherche à être surpris, divertie, interpelé, presque à son insu. Il veut écouter une histoire qui, malgré le suspense, a du sens. Pour cela, cette narration doit demeurer vraisemblable, sinon il s’en lasse vite. Si l’auteur se perd lui-même à son propre jeu, jusqu’à devenir incohérent, l’histoire est finie, l’illusion se révèle en plein jour et la suite n’intéresse plus personne.

Il est intéressant de noter que logos en Grecque se traduit à la fois par « verbe » et par « logique ». La cohérence est ainsi synonyme de vérité dans un discours, même si cette cohérence s’étend bien au-delà des mots. Les règles grammaticales, la concordance des temps, l’étymologie des mots nous le rappelle sans cesse, mais un texte n’a d’intérêt pour personne s’il néglige la cohérence. Ce n’est plus qu’une forme vide, un exercice de style tout au plus.

Conclusion

Nul ne pense sérieusement sans écrire. Écrire est un exercice exigeant. Un bon texte est facilement reconnaissable : il communique une idée sans ambiguïté ni dans son esprit ni dans celui qui le reçoit. Les conclusions sont claires, le fil logique de chaque déduction intermédiaire ne souffre aucune lacune et les problèmes énoncés résolus. Nous pouvons toujours récuser les prémisses, moquer le style ou invoquer l’absurde, mais force est d’admettre que l’ouvrage tient et est pertinent pour ceux qui se posaient les mêmes questions. Cette transmission d’une idée depuis un auteur vers un lecteur est le premier but de l’écriture. L’écriture est un vecteur de connaissance, là où la lecture est une matrice de savoir.

Il faut avoir beaucoup lu pour bien écrire, mais écrire apporte la fraicheur de la découverte ou de la redécouverte, la satisfaction d’une pensée bien construite et d’un plaisir partagé. C’est bien plus qu’un travail de synthèse, que nous pourrions abandonner à une intelligence artificielle, c’est un travail de création.

Pour aller plus loin
Nous n’avons pas pu confirmer votre inscription.
Votre inscription est confirmée.

Féconde – la lettre qui fait germer les idées

Alighiero Boetti (1940-1994) – Arte Povere

Publications similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *