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Comment répondre à la question qui suis-je ?

A la question qui es-tu ? peu d’entre nous aime apporter une réponse claire et tranchée, car nous savons que cet être familier que nous côtoyons tous les jours est bien souvent étranger à lui-même. Comment répondre à sa place ? D’emblée, il est délicat d’apporter une réponse définitive.

La vie est faite de paradoxes et d’injonctions contradictoires. Nous voulons des responsabilités, mais sans contraintes. Nous cherchons le dépaysement, mais avons besoin de notre petit confort. Nous aimons le vin, mais de temps en temps, préférons une bonne bière. Comment oserais-je définir qui je suis, alors que je change si souvent d’avis et réclame le bonheur sans le vouloir ? La seule constance est mon inconstance, affligeante description de l’être formidable que j’aimerais projeter sur les autres.

Aussi, pour me donner bonne figure, je crée une narration et polis ces traits de caractères qui donne de la valeur aux yeux des autres.  Valeur non pas intrinsèque, mais celle projetée par ceux que je cherche à imiter. En fait, nous préférons de loin répondre à la question : que fais-tu dans la vie ? car nous pouvons plus facilement se fondre dans les stéréotypes de sa profession, voire retourner l’image de celui qui s’affranchie de tous les codes en faisant bien attention de respecter celui-ci. En réalité, je ne suis jamais l’unique instigateur de mes réussites et sous couverts d’accomplissements collectifs – de ma famille, de mon entreprise, de ma nation – voire de mon compte Instagram, j’usurpe ma propre identité.

Nous sommes malades de notre individualité, car la question qui suis-je me sépare du groupe alors que je ne me définis que par rapport à lui. En opposition ou en phase. En contradiction ou en affirmation. Chaque revendication de son individualité est un appel à former une nouvelle communauté, avec ceux qui partagent les mêmes interrogations, souffrances ou réussites.

C’est aussi le paradoxe de cette société post-moderne qui prône l’individualité sans lui donner les moyens de son émancipation. À chacun d’entendre sa propre voix dans cette cacophonie assourdissante, la belle affaire ! Chacun se précipite à imiter les influenceurs de sa génération, sans comprendre pourquoi. À l’injonction post-moderne, deviens qui tu es ! (comme si l’être existait en dehors du devenir), préférons-lui le vieil adage, connais-toi toi-même !

Ce toi-même est réflectif, c’est un apprentissage à partir des cycles, des expériences et des raisonnements que nous avons suivis jusqu’à cette prise de conscience. La question de l’être ne peut être séparée ni de l’avoir, ni du faire. Le savoir est un avoir, le faire une expérience, le savoir-faire une identité, qui n’est pas encore soi, mais à laquelle nous nous identifions volontiers. C’est notre marque de fabrique.

On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve.

Héraclite

L’être s’inscrit dans le temps, composé de souvenirs, d’actions et de devenir.  Je suis un être composé, qui se construit et se reconstruit. Si le faire n’est que mon travail, et l’avoir l’argent que j’en retire, alors mon être se restreint à des cycles étriqués. De même si mon faire est la seule quête de plaisirs et mon avoir leurs satisfactions.

Seul celui qui se connait peut répondre à la question du il y a, de ce quelque chose qui me distingue de toute autre chose et qui fait que je ne suis pas rien. On devient ce qu’on connait. Il n’y a pas d’acte libre posé inconsciemment. Le nier serait s’aliéner au cycle du faire-avoir sans jamais répondre à la question de l’être. Cette conscience de l’être, de qui je suis, est avant tout un désir d’exister à travers cette connaissance de soi, à partir de laquelle nous pouvons poser des actes véritablement libres.

Ne cherchons pas à définir qui nous sommes définitivement, car demain cet être sera autre, enrichie des expériences d’une vie remplie de connaissance. Cet autre est aussi moi-même, en faisant partie de mon vécu, de cet avoir qui fait aussi partie de moi, tel celui qui m’a aidé lorsque j’étais abattu ou celle qui m’a fait comprendre ce que j’ignorais depuis si longtemps.

Si d’aventure, ami lecteur, tu voulais me poser la question fatidique par laquelle nous avons débuté cet article, sache que je te répondrais : je suis un être composé des expériences, rencontres et connaissances acquises au cours de ma vie, qui cherche à comprendre le monde et les autres, et chemin faisant, j’en retire la joie des découvertes qu’il m’est permis d’avoir et que je peux transmettre autour de moi.  Un être qui n’a rien à transmettre est déjà mort.

L’existence s’acquiers à la naissance. Pour se connaitre, et répondre à la question du qui suis-je ? il faut renaitre.

Source: Vincent van Gogh, Autoportrait, 1887, huile sur carton Art Institute of Chicago

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